photo / DR
Saison 2017/18
D’après L’AFFAIRE DE LA RUE DE LOURCINE de Eugène Labiche
Mise en scène de Noël Casale
Traduction & Adaptation Guy Cimino et Noël Casale
Avec Thomas Bronzini, Jean-Baptiste Filippi, Jean-Pierre Giudicelli, Corinne Mattei, Henri Olmeta
Scénographie, costumes Anne Lezervant
Lumière Marie Vincent
Surtitrage Anaïs Tapiero
Co-production Théâtre du commun, Teatrinu Soutien Collectivité Territoriale de Corse, Espace Diamant, Ajaccio, Théâtre de Bastia
Dès mes premières lectures de L’Affaire de la rue de Lourcine, il y a une vingtaine d’années, j’ai pensé qu’il fallait la traduire en corse et la contextualiser dans Bastia. Comment une comédie en un acte mêlée de couplets représentée pour la première fois à Paris en 1857 – et si emblématique de la vie bourgeoise du 19è siècle – peut-elle nous parler de gens de Bastia, aujourd’hui ?
Chez Labiche
Que se passe-t-il chez LABICHE avec ce «diamant noir du répertoire comique», cet acte unique composé de vingt et une scènes ? Paris, 1857. Deux hommes qui ne se connaissent pas se réveillent dans le même lit avec la gueule de bois et se convainquent mutuellement qu’ils ont, la veille au soir, en état d’ivresse, assassiné une charbonnière. Pris de panique, ils entreprennent de liquider tous les «témoins» avant de découvrir in extremis que rien de ce qu’ils tenaient pour vrai n’est arrivé.
« Une bouffonnerie féroce et charmante (…), l’assassinat en belle humeur, quelque chose comme une tragédie jouée par des marionnettes et où les victimes reviendraient en ombres chinoises (…). Quelle scélératesse spirituelle et fine ! Comme le héros prend vite son parti du meurtre commis et du meurtre à faire ! Il n’y a pas de degrés pour lui dans le crime. Il y descend quatre à quatre, tranquillement, gaiement, les mains dans le poches. C’est le philosophe de l’assassinat ». Paul de Saint-Victor, La Presse, 29 mars 1857.
La question du meurtre
Avec cette pièce, on pourrait dire de Labiche ce que l’on a dit de Kafka : – «Il a écrit comme on rêve». En l’occurrence, comme on rêve, hanté par La Question du Meurtre. C’est une question qui en Corse nous occupe depuis (presque) toujours et plus vivement depuis une quarantaine d’années. En politique, dans les mafias et, par contamination, dans l’ensemble de la société, le meurtre fait partie des possibilités de régler plus ou moins définitivement, une affaire d’argent, un contentieux commercial, un problème affectif, une frustration intime, une rivalité politique, une dispute… Et on entend très souvent – Tant qu’ils se tuent entre eux – ou – S’ils l’ont tué(e), c’est qu’il devait y avoir quelque chose. Comme s’il allait de soi que l’on peut être assassiné pour quelque chose. Ce qui revient, in fine, à adopter le point de vue des tueurs. N.C.
L’affaire transposée, de nos jours, à Bastia
Bastia, 2001. Deux notables bastiais se réveillent un matin dans le même lit chez l’un des deux. Ils se reconnaissent à peine et se souviennent vaguement qu’ils ont bu ensemble toute la nuit et sombré assez vite dans une sorte de trou noir. Ils ont les mains noires de khôl et ont perdu dans leur nuit d’ivresse un parapluie vert à tête de singe. La maîtresse de maison s’ennuie. On lui confie pour la distraire un quotidien vieux de vingt ans car celui du jour est introuvable. Elle y lit qu’une « jeune marocaine a été assassinée dans la nuit, rue du Chanoine Letteron, anciennement «Rue Droite» – Carrughju Dirittu (…) On suppose que les assassins étaient deux (…) que deux pièces à conviction ont été retrouvées sur place (…) dont un parapluie vert à tête de singe (…) et que les deux agresseurs étaient en état d’ivresse ». C’est le délire. Les deux hommes vont passer leur journée à tenter de faire disparaître les traces et les objets de « leur crime ». Leur trou noir de la nuit aspire tout. On ne réfléchit plus, on s’insulte, on se jette à corps perdus dans des comportements de plus en plus aberrants, on en vient à se reconnaître et à s’accepter dans la peau d’un tueur et à s’envisager même récidiviste (d’éventuels témoins sont à éliminer). Des objets occupent entièrement l’esprit de tous, on pense à la présence si étrange, presque angoissante, des objets dans la peinture de Magritte, on est en plein cauchemar. On finit par retomber sur ce vieux journal, daté du 13 juin 1981, jour de la victoire du Sporting de Bastia en finale de la Coupe de France. Ouf, ouf, ouf… Les spectateurs de cette «bouffonnerie féroce» auront eu de quoi rire mais probablement aussi de quoi méditer – oui, mais à quoi ?
Vu le sujet, l’époque et le lieu, il faut vraiment vous faire un dessin ? N.C.
Note d’intention pour une scénographie
Point de départ : la pièce à vivre de Monsieur – chambre, antichambre – dans un appartement bourgeois de la Place Saint Nicolas à Bastia en 2001. Espace confiné, encombré, étouffant. Caché derrière un rideau, un lit. Tissu d’ameublement. Motifs épanouis. Fauteuils, vases, fleurs, corniche et tout le tralala… On voudrait être bien à l’aise dans cette petite boîte à bonbons poivrés, s’y enfouir satisfait, à l’abri d’accès de folie comme celui qui va donc un jour tout dévaster.